Comment les équipes chargées des achats se trompent dans leur devoir de diligence en matière d'ESG

Les services d'achat des entreprises de tous les secteurs sont fiers de leur engagement en faveur de chaînes d'approvisionnement durables, mettant en avant des questionnaires complets à l'intention des fournisseurs, des tableaux de bord ESG et des clauses de durabilité dans les contrats. Pourtant, sous ce vernis de responsabilité environnementale et sociale se cache une réalité troublante : la plupart des organisations d'achat procèdent à des évaluations ESG superficielles, basées sur des cases à cocher, qui ne parviennent pas à évaluer de manière significative les performances des fournisseurs en matière de développement durable ni à influencer les décisions d'achat.
Malgré la pression croissante exercée par les investisseurs, les régulateurs et les consommateurs en faveur d'une véritable durabilité de la chaîne d'approvisionnement, les pratiques d'achat restent fondamentalement inchangées. Les coûts et les spécifications des produits continuent de dominer la sélection des fournisseurs, tandis que les critères ESG ne sont guère plus que de la poudre aux yeux - documentés à des fins de conformité, mais rarement intégrés dans les processus décisionnels réels.
Cet écart entre les engagements déclarés en matière de développement durable et la réalité des marchés publics représente l'un des obstacles les plus importants aux progrès authentiques des entreprises en matière de développement durable.
L'illusion de la diligence raisonnable en matière d'ESG
Le problème de la divulgation de soi
La plupart des évaluations ESG des marchés publics s'appuient largement sur les déclarations des fournisseurs au moyen de questionnaires standardisés. Ces documents, qui font souvent des dizaines de pages, demandent aux fournisseurs de rendre compte de tout, des émissions de carbone aux pratiques de gestion des déchets, en passant par les conditions de travail et les initiatives d'impact sur la communauté. Les réponses sont généralement compilées dans des tableaux de bord qui donnent l'impression d'une évaluation complète de la durabilité.
Le défaut fondamental de cette approche est évident : les fournisseurs ont tout intérêt à se présenter sous un jour favorable et n'ont que peu de comptes à rendre quant à l'exactitude de leurs déclarations. En l'absence de vérification indépendante, d'audit par une tierce partie ou de sanctions significatives en cas de fausse déclaration, ces questionnaires deviennent des exercices d'écriture créative plutôt que des mesures légitimes de diligence raisonnable.
Les équipes chargées des achats, qui manquent de personnel et d'expertise en matière de développement durable, disposent rarement des ressources ou des connaissances nécessaires pour examiner les réponses d'un œil critique. L'affirmation d'un fournisseur selon laquelle il a "mis en œuvre des systèmes complets de gestion de l'environnement" est évaluée de la même manière, qu'il s'agisse d'une véritable performance de premier ordre ou d'une conformité réglementaire de base avec une mise en œuvre inadéquate.
La conformité aux règles de la boîte à cocher plutôt que l'analyse substantielle
Les évaluations des fournisseurs ESG se concentrent généralement sur la documentation des politiques plutôt que sur les résultats des performances. Les fournisseurs obtiennent des notes favorables lorsqu'ils disposent de politiques environnementales écrites, de déclarations sur la diversité et de protocoles de sécurité, indépendamment du fait que ces politiques se traduisent par des pratiques opérationnelles significatives ou des améliorations mesurables.
Cette mentalité de case à cocher ne permet pas de faire la distinction entre les fournisseurs qui ont intégré le développement durable au cœur de leurs activités et ceux qui se sont contentés d'élaborer une documentation pour satisfaire aux exigences de leurs clients. Un fournisseur peut obtenir de bons résultats sur les critères ESG tout en exploitant des installations peu performantes sur le plan environnemental, en exploitant des travailleurs ou en contribuant à la dégradation des communautés - tant qu'il a les bonnes politiques sur le papier.
Il en résulte une fausse équivalence qui masque les différences significatives entre les performances des fournisseurs en matière de développement durable et qui ne permet pas de récompenser un véritable leadership ou de pénaliser les mauvaises performances.
Méthodes d'évaluation des eaux peu profondes
La plupart des évaluations ESG des marchés publics reposent sur des réponses binaires oui/non ou sur des échelles d'évaluation simples qui ne permettent pas d'appréhender la complexité des performances en matière de développement durable. Des questions telles que "Votre organisation dispose-t-elle d'un système de gestion environnementale ?" ne disent rien aux équipes chargées de la passation des marchés sur l'efficacité, la portée ou les résultats de ce système.
Cette approche réductionniste ignore des nuances essentielles : la différence entre la certification ISO 14001 et les performances environnementales réelles, entre les politiques de diversité et les cultures d'entreprise inclusives, entre les programmes de sécurité et les résultats réels en matière de protection des travailleurs. Des performances sophistiquées en matière de développement durable nécessitent des méthodologies d'évaluation sophistiquées que la plupart des équipes chargées des achats n'ont pas.
En l'absence de critères de référence spécifiques au secteur, de normes de performance ou de mesures basées sur les résultats, les évaluations ESG deviennent des exercices dénués de sens qui fournissent de fausses assurances plutôt que des informations exploitables.
La réalité de la prise de décision
Le coût et la qualité restent les maîtres mots
Malgré des processus étendus de documentation ESG, les décisions d'achat continuent de donner la priorité aux coûts et aux spécifications des produits plutôt qu'aux performances en matière de développement durable. Les notes ESG peuvent être calculées et classées, mais elles influencent rarement la matrice de sélection finale des fournisseurs de manière significative.
Lorsqu'on leur demande d'expliquer les décisions de sélection des fournisseurs, les professionnels des achats mettent systématiquement en avant les économies de coûts, les améliorations de la qualité ou les capacités techniques. Les facteurs de durabilité, s'ils sont mentionnés, servent à départager des fournisseurs par ailleurs équivalents plutôt qu'à constituer des critères d'évaluation principaux.
Cette réalité crée des incitations perverses où les fournisseurs investissent du temps et des ressources dans des exercices de reporting ESG qui n'ont en fin de compte qu'un impact minime sur leurs perspectives commerciales. Pendant ce temps, les équipes chargées des achats perpétuent l'illusion d'un achat axé sur le développement durable tout en prenant des décisions fondées sur des facteurs économiques traditionnels.
Tolérance au risque pour les questions de durabilité
Les équipes chargées des achats acceptent régulièrement des risques liés au développement durable qu'elles ne toléreraient jamais dans d'autres domaines. Un fournisseur aux pratiques de travail douteuses peut rester dans la base d'approvisionnement tant qu'il livre des produits de qualité dans les délais et à des prix compétitifs. Les violations environnementales qui n'ont pas d'incidence directe sur la livraison des produits sont souvent négligées ou traitées dans le cadre de "plans d'amélioration" dépourvus de mécanismes d'application ou d'échéances significatives.
Cette tolérance au risque reflète le décalage entre les engagements des entreprises en matière de développement durable et la prise de décision opérationnelle. Alors que les dirigeants s'engagent publiquement en faveur d'un approvisionnement responsable, les équipes chargées des achats continuent d'opérer selon des critères de performance qui privilégient la réduction des coûts et la fiabilité des livraisons par rapport aux résultats en matière de développement durable.
Conséquences limitées en cas de mauvaises performances ESG
Même lorsque les évaluations ESG mettent en évidence des pratiques préoccupantes de la part des fournisseurs, les réponses des marchés publics se limitent généralement à des demandes d'actions correctives, à des contrôles supplémentaires ou à des programmes de développement des fournisseurs. Les licenciements de fournisseurs pour cause de violation des règles de développement durable restent rares, en particulier lorsque le fournisseur fournit des produits ou des services essentiels à des prix compétitifs.
Cette absence de conséquences significatives indique aux fournisseurs que la performance ESG est moins importante que les mesures commerciales traditionnelles. Les fournisseurs apprennent rapidement que les engagements en matière de développement durable peuvent être ambitieux plutôt qu'opérationnels, tant qu'ils maintiennent des prix compétitifs et la qualité de leurs produits.
Le problème de la poudre aux yeux
Le contrôle de conformité l'emporte sur l'évaluation réelle
De nombreuses initiatives ESG en matière d'approvisionnement existent principalement pour satisfaire les parties prenantes externes plutôt que pour améliorer la prise de décision en interne. Les entreprises doivent démontrer aux investisseurs, aux clients et aux autorités de réglementation leur engagement en faveur de la durabilité de la chaîne d'approvisionnement.
Ces programmes font souvent l'objet d'une attention particulière sur le plan marketing et figurent en bonne place dans les rapports sur le développement durable, bien qu'ils n'aient qu'un impact minime sur la sélection réelle des fournisseurs ou sur les pratiques de gestion. L'investissement va à la documentation et à la communication plutôt qu'aux capacités d'évaluation ou à l'intégration de la prise de décision.
Des indicateurs qui ne mesurent pas ce qui est important
Les équipes chargées des achats suivent souvent des indicateurs liés à l'ESG qui semblent impressionnants mais qui ne mesurent pas les performances réelles en matière de développement durable. Le "pourcentage de fournisseurs ayant effectué des évaluations ESG" ou le "nombre de clauses de développement durable dans les contrats" créent une illusion de progrès sans pour autant démontrer une amélioration des résultats environnementaux ou sociaux.
Ces mesures de vanité permettent aux organisations de faire état de leurs progrès en matière d'achats ESG tout en évitant le travail plus difficile consistant à développer des capacités d'évaluation significatives, à intégrer la durabilité dans les processus de prise de décision ou à accepter les implications financières potentielles d'un approvisionnement authentiquement responsable.
Absence de normes spécifiques à l'industrie
Les questionnaires ESG génériques n'abordent pas les défis et les opportunités de développement durable spécifiques à l'industrie. Un fabricant de textile et une entreprise de logiciels peuvent réaliser des évaluations identiques alors qu'ils sont confrontés à des risques environnementaux et sociaux totalement différents. Cette approche unique occulte les questions matérielles de durabilité tout en focalisant l'attention sur des critères non pertinents.
En l'absence de normes et de critères de référence spécifiques à l'industrie, les équipes chargées des achats ne peuvent pas évaluer de manière significative les performances des fournisseurs ni identifier les possibilités d'amélioration. Il en résulte des processus d'évaluation superficiels qui ne permettent pas de relever les défis en matière de développement durable les plus pertinents pour des chaînes d'approvisionnement spécifiques.
La voie à suivre
Vérification indépendante et audit par un tiers
Une diligence raisonnable en matière d'ESG exige une vérification indépendante des déclarations des fournisseurs par le biais d'audits par des tiers, de visites de sites et d'évaluations basées sur les performances. Cela signifie qu'il faut aller au-delà des questionnaires d'autodéclaration et adopter des méthodologies d'évaluation fondées sur des preuves qui permettent de distinguer un véritable leadership en matière de développement durable d'une conformité superficielle.
Intégration dans les processus décisionnels de base
Les critères ESG doivent être pondérés de manière appropriée dans les matrices de sélection des fournisseurs, avec des conséquences claires en cas de mauvaise performance et des récompenses significatives en cas de leadership en matière de développement durable. Pour ce faire, les équipes chargées des achats doivent accepter qu'un véritable approvisionnement durable puisse entraîner des surcoûts ou une complexité de la chaîne d'approvisionnement.
Mesures de performance basées sur les résultats
Les évaluations ESG des marchés publics devraient se concentrer sur des résultats mesurables plutôt que sur la documentation des politiques. Cela signifie que les fournisseurs doivent être évalués sur la base de leurs performances environnementales réelles, de la sécurité des travailleurs, de l'impact sur les communautés et d'autres résultats tangibles, plutôt que sur la base d'engagements écrits ou d'un statut de certification.
Cadres d'évaluation spécifiques à l'industrie
Une diligence raisonnable efficace en matière d'ESG nécessite des cadres d'évaluation adaptés à des secteurs spécifiques et aux risques de la chaîne d'approvisionnement. Les questionnaires génériques devraient être remplacés par des évaluations ciblées qui abordent les défis de durabilité les plus pertinents pour des secteurs et des catégories de fournisseurs particuliers.
L'impératif de changement
L'état actuel de la diligence raisonnable en matière d'achats ESG représente un obstacle important aux progrès authentiques des entreprises en matière de développement durable. Les organisations qui continuent d'appliquer des processus d'évaluation superficiels tout en donnant la priorité aux coûts plutôt qu'à la durabilité se retrouveront de plus en plus vulnérables aux risques liés à la chaîne d'approvisionnement, à l'examen réglementaire et aux critiques des parties prenantes.
Les entreprises qui seront à la pointe de leur secteur en matière de pratiques commerciales durables sont celles qui sont prêtes à aller au-delà de la conformité aux cases à cocher pour procéder à une véritable évaluation de la durabilité des fournisseurs et à l'intégration de la prise de décision. Cette transformation nécessite d'investir dans des capacités d'évaluation, d'accepter les implications financières potentielles et de s'engager à faire du développement durable un facteur significatif dans les décisions d'achat.
Le temps de la poudre aux yeux ESG est révolu. Les parties prenantes exigent de plus en plus de preuves d'authentiques pratiques d'approvisionnement durable et les organisations qui ne parviennent pas à faire évoluer leurs approches en matière de marchés publics verront leurs engagements en matière de développement durable révélés comme une rhétorique vide de sens plutôt que comme une réalité opérationnelle.
Articles connexes
Découvrez d'autres articles d'experts liés aux évaluations

L'envoi de questionnaires à chaque fournisseur n'est pas une mesure de diligence raisonnable efficace en matière d'ESG

Le dilemme de la diligence raisonnable : les équipes chargées de la qualification peuvent-elles s'y retrouver dans la complexité de la législation européenne relative à la chaîne d'approvisionnement ?
